Entretien avec M. Michel Picon, Président de l’Union Nationale des Professions Libérales de France (UNAPL) sur l’impact de la crise du COVID-19 sur notre secteur dans son pays

Nous prenons un plaisir particulier à publier aujourd’hui notre entretien avec le Président de l’un de nos membres fondateurs, l’UNAPL (France) concernant l’impact de la crise actuelle sur les professions libérales en France. Nous remercions sincèrement le Président Picon de nous avoir donné la chance de partager avec tous nos membres l’expérience et les bonnes pratiques suivies par nos collègues français.

Mr. Michel Picon, Président de l’UNAPL

Votre organisation a-t-elle pu facilement s’adapter à la période de confinement pendant la pandémie actuelle ? (télétravail, téléconférences, locaux fermés, etc.)

De façon relativement improvisée, il faut l’avouer, le télétravail s’est mis en place de façon très efficace et il faut s’en féliciter car la période a été très intense pour l’UNAPL. Les réunions par visioconférence ont même permis de recueillir un nombre de présents que les réunions physiques peinent souvent à atteindre. Elles favorisent, en outre, une discipline et une efficacité plus grandes que ne le permet le présentiel. Cela nous a permis notamment d’assurer un contact permanent et efficient avec nos organisations- membres. Nos organisations, cependant, sont nombreuses à souhaiter une reprise de réunions en présentiel ou des réunions alternées, présentielle et en visio.

Dans quelle mesure cela a- t -il perturbé le fonctionnement de votre association ?

Il n’y a eu, par conséquent, assez peu de perturbation du fonctionnement de l’UNAPL.

Cela a -t-il rapproché votre association des pouvoirs publics en tant qu’interlocuteur ?

A vrai dire, à plusieurs reprises, l’UNAPL a dû s’imposer en tant qu’interlocuteur, mais, à la faveur du remaniement ministériel, la désignation du Président Alain Griset de l’Union des Entreprises de proximité (U2P), à laquelle a décidé d’appartenir l’UNAPL, comme Ministre délégué chargé des petites et moyennes entreprises, a été la consécration de l’importance du travail mené depuis sa création en novembre 2016. Les professions libérales sont explicitement rattachées à son portefeuille et un conseiller spécial traitera de notre secteur. Ce remaniement nous assure donc une visibilité nouvelle et la présence d’un interlocuteur que nous connaissons et apprécions, attentif aux problématiques de notre secteur.

Vos membres ont-ils pu utiliser votre association comme un relais d’information et envoyer leurs réactions aux autorités ?

Bien sûr. Nous avons été à l’écoute de chacune des professions dans leur particularité et leur diversité. Nous avons organisé des visioconférences pour recueillir le maximum d’informations concernant la situation de chacune et les faire remonter auprès des décideurs politiques.

Ensuite, au moment du déconfinement et pour accompagner le processus, l’UNAPL a recueilli puis transmis au ministère  du Travail, pour une publication en ligne sur son site, les guides métiers par profession de prévention et protection du COVID 19.

Chaque mois, en outre, depuis la crise et par le biais du Conseil Economique, Social et Environnemental, nous envoyons au gouvernement un rapport sur les professions libérales.

En retour, l‘UNAPL assure un rôle de transmission et d’information pédagogique vers sa base : par la publication d’un guide pratique en ligne de mise en œuvre au sein des entreprises libérales des mesures économiques et sociales prises par les pouvoirs publics (sous forme de questions-réponses), par son action, aussi, par le biais de l’ADSPL (Association pour le développement du dialogue social et le paritarisme dans le secteur des professions libérales) et des commissions paritaires régionales de Professions libérales CPRPL), auprès des entreprises dans les territoires sur les dispositions réglementaires, légales relatives au COVID (sociales, fiscales).

Pensez-vous que cette période difficile a eu un impact sur les relations entre les professions libérales et leurs clients et patients, notamment en ce qui concerne la confiance dans les professionnels et l’appréciation de leur rôle au sein de la société? Nous savons tous, par exemple, que les professions médicales ont bénéficié de beaucoup de reconnaissance pour leur bon travail. Qu’en est-il des autres professions, comme par exemple les notaires et les avocats qui ont souvent été appelés à recevoir des testaments ou à défendre des personnes victimes d’abus sous séquestre ?

La crise a, en effet, révélé l’importance, s’il en était nécessaire, de certains maillons dans le fonctionnement de la société. Le rôle des professions libérales dans la protection de la santé et des droits fondamentaux, mais aussi le conseil aux entreprises, a, notamment, été mis à jour. Le rôle pivot des soignants, dont il faut saluer l’engagement, a été maintes fois rappelé. Mais d’autres professions ont aussi été très mobilisées. Le rôle du pharmacien comme premier point d’accès au conseil et aux soins a été consolidé en cette période de crise. Suite à un arrêté en date du 15 mars 2020, les pharmaciens d’officine se sont vus autorisés à renouveler les ordonnances arrivées à échéance dans les cas de traitement chronique. Plus, une nouvelle mission leur incombe suite aux actions de sensibilisation menées par le gouvernement à l’égard des violences faites aux femmes et violences intrafamiliales : celle de repérer, d’identifier et d’orienter les victimes éventuelles. A cet égard, il faut souligner que le ministère de la Justice a décidé que les juridictions traitant des cas de violences faites aux femmes resteraient prioritairement mobilisées durant le confinement. Les avocats ont pu continuer à plaider dans le cadre de ces affaires qui se sont malheureusement multipliées.

Enfin, nombre d’entreprises touchées de plein fouet par la crise se sont tournées vers le conseil. Les experts comptables se sont ainsi trouvés être les interlocuteurs directs et quasi quotidiens d’entreprises qu’il fallait conseiller sur la façon de bénéficier des aides conçues par le gouvernement et de les mettre en place.

Pensez-vous que la situation actuelle aura un impact sur la santé financière des PME des professionnels libéraux ? 

Cela va être malheureusement le cas. Pour nombre de professions libérales, la reprise ne pourra pas être réellement effective avant la rentrée de septembre 2020. Pour certaines, en particulier les métiers liés à la culture, elle risque d’être repoussée à plus tard encore. Pour d’autres encore, comme les architectes, la crise continuera d’avoir des répercussions significatives sur l’activité 2021. De façon générale, la rentabilité des cabinets libéraux sera durablement et gravement affectée.

Les professions libérales de votre pays et leurs PME ont- elles été prises en considération lorsque votre gouvernement a adopté des mesures visant à compenser le préjudice financier ?

Une grande partie de l’action de l’UNAPL a été de rappeler au gouvernement que les professions libérales devaient être explicitement intégrées comme bénéficiaires des mesures de soutien aux entreprises. Dans la première version du décret mettant en place le Fonds de solidarité, les professions libérales avaient été, en effet, oubliées. Grâce à l’action de l’UNAPL, elles ont pu être intégrées comme bénéficiaires du fonds. De même, pour le dispositif d’indemnisation du chômage partiel. Enfin, l’UNAPL a obtenu que les professionnels libéraux – hors professions de santé qui en bénéficiaient déjà- puissent bénéficier d’indemnités journalières par l’assurance- maladie pour la garde d’enfants de moins de 16 ans comme les autres indépendants.

La spécificité des professions libérales a-t-elle été prise en compte lorsque votre gouvernement a annoncé des mesures pour la relance de l’économie générale de votre pays ?

Certaines des propositions de l’UNAPL ont été acceptées et permettront d’aider très significativement les professions libérales. Il s’agit de la proposition de pérenniser – jusqu’au 31 décembre 2020- et de renforcer le fonds de solidarité pour toutes les entreprises subissant durablement les effets de la crise, de concrétiser les allégements de charges des professions libérales à proportion de la baisse de leur chiffre d’affaires, de transformer le prêt garanti par l’État en un prêt sur dix ans, avec un taux fixé et plafonné à 1 %, d’accompagner les TPE dans la mise en place d’une stratégie digitale.

L’UNAPL a, en outre, proposé au Ministre de l’Economie et des Finances M. Bruno LEMAIRE, qui s’y est montré très favorable, une mesure permettant de soutenir le secteur des petites entreprises durant la période de sortie de crise. Celle- ci, encore à l’étude, prévoit que les avantages en matière fiscale dont bénéficient les particuliers qui investissent dans des entreprises sous forme de société et possédant un capital soient étendus à ceux qui investissent dans des entreprises individuelles qui n’ont pas de capital. Cette proposition serait d’un très grand intérêt pour les très petites entreprises libérales et permettrait à l’épargne d’être mobilisée pour soutenir l’économie.

Maintenant que le confinement a pris fin, comment voyez-vous l’avenir de notre secteur en général dans votre pays : un retour à la vie normale ou un avenir profondément marqué par de nouvelles habitudes ?

En déstabilisant nombre d’entreprises libérales, la crise a révélé l’urgence de répondre à de nouveaux besoins chez les professionnels libéraux, ou, du moins, des besoins qui avaient été mis en sourdine faute de consensus. C’est notamment le cas des indemnités journalières maladie, dont le principe est désormais porté par l’UNAPL auprès de la direction de la sécurité sociale. Restent à définir le montant, le taux de celles- ci, ainsi que la gouvernance du système. Cette initiative s’inscrit dans l’approche européenne qui souhaite étendre et renforcer la couverture sociale des indépendants qui, par tradition, ont parfois refusé d’être couverts pour certains risques pour ne pas cotiser.

La crise a, en outre, accéléré certaines transformations nécessaires comme la digitalisation des entreprises libérales, mais avec, aussi, certains aspects problématiques qui lui sont liés, comme dans le secteur de la santé, la mainmise de Doctolib sur les téléconsultations, qui remet en cause l’indépendance des professionnels.

De façon générale, la crise a rendu plus aigu notre questionnement concernant ce qui continue de faire l’identité des professions libérales au travers des nombreuses transformations dont elles font l’objet.

L’UNAPL a ainsi créé un groupe de travail et de réflexion dédié, présidé par l’un de ses vice- présidents et auquel collaborera son conseil, et qui sera composé de personnalités scientifiques et de chercheurs.